Les interactions entre climat et pauvreté, entre climat et développement sous-tendent les discussions internationales de la COP21 sur le Climat qui se tiendra en décembre 2015 à Paris. Comment réduire l’intensité carbone des pays anciennement ou récemment développés et générer une croissance à faible intensité carbone pour les pays et les populations qui aspirent à vivre mieux, bénéficier de services tels qu’une alimentation saine, l’accès à l’eau potable, l’énergie, la santé, les transports ou une éducation de qualité ? L’agriculture, souvent oubliée, est un révélateur des enjeux auxquels nous devons faire face, par son impact sur le climat mais aussi sur les ressources que nous utilisons quotidiennement, et plus largement sur la stabilité sociale et politique des prochaines décennies.
Le sol au cœur du cycle carbone, alimentation et ressources en eau.
Les objectifs de réduction des émissions carbone qui contribuent au changement climatique sont au centre des débats de la COP21. On parle moins du « carbone positif », ces masses gigantesques de carbone stockées silencieusement dans les écosystèmes naturels ou agricoles, que l’activité humaine a le pouvoir de détruire ou de faire fructifier. On l’oublie parfois, mais notre existence et celle de tous les êtres vivants dépendent d’une mince peau de 20 à 30cm d’épaisseur qu’est la couche arable du sol, celle dans laquelle les plantes trouvent l’essentiel de leur nourriture. Cette couche doit sa fertilité à la nature de la roche sur laquelle le sol s’est formé, mais plus encore à la quantité et à la nature de la matière organique qu’elle contient. Le principal constituant de la matière organique est le carbone (environ 58%). Le sol est en fait le plus grand réservoir de carbone de la planète, avec 615 milliards de tonnes dans les 20 premiers cm et 2344 milliards de tonnes jusqu’à une profondeur de 3 mètres. Ce stock a considérablement diminué au cours du 20ème siècle en raison de l’intensification de l’agriculture, de la généralisation des labours profonds dans les pays développés, de la transformation de centaines de millions d’hectares de prairies en terres cultivées et enfin de la déforestation.
Ces gigantesques masses de carbone stockées dans les grands espaces terrestres ne sont pas seulement un des facteurs du changement climatique, elles constituent la base de nos ressources alimentaires, des matières premières d’origine agricole qui alimentent l’industrie et des ressources en eau indispensables à la vie.
L’agriculture familiale, une réponse aux enjeux des pays en développement
Si l’on quitte un instant le cycle du carbone pour regarder cette question d’un point de vue social : 570 millions de petites exploitations agricoles familiales dont 72% ont moins de 1ha font vivre 1 milliard de gens dans le monde. Elles fournissent 40% de l’emploi et 70% des besoins alimentaires mondiaux. La majeure partie de ces petites exploitations utilise essentiellement la force humaine ou animale. L’énergie et les techniques employées sont à faible intensité carbone mais les rendements sont dans l’ensemble faibles et la pression démographique ou la recherche de nouvelles terres pousse à la déforestation dans de nombreuses régions du monde. Un peu partout, des pratiques agricoles ou d’élevage inadaptées aux conditions actuelles aggravent la situation : chaque année dans le monde, l’équivalent de la surface de la Grèce est perdu pour l’agriculture à cause de l’érosion et de la dégradation des sols. Ce qui se traduit par des situations de pauvreté et de malnutrition en parallèle de la destruction du capital naturel, que l’on peut mesurer par la réduction du stock de carbone dans ces écosystèmes. L’interaction entre changement climatique, évolution des ressources naturelles, développement économique et stabilité sociale est vécue au quotidien par les populations rurales qui dépendent de la terre. Mais les impacts vont bien au-delà et nous concernent tous.
On parle peu de ces populations paysannes comme si elles appartenaient déjà au passé. La croissance des villes et des infrastructures urbaines domine les préoccupations des décideurs. A juste titre, car les grandes métropoles jouent un rôle moteur et la population mondiale continuera à s’urbaniser. Mais les villes continueront à dépendre de l’état des espaces ruraux pour leur alimentation, leurs ressources en eau, leur stabilité sociale. Certes, les populations rurales sont éparpillées sur de vastes territoires et le plus souvent silencieuses alors que les mouvements de rue qui font vaciller les pouvoirs politiques sont généralement urbains. Les paysans pauvres s’expriment pourtant, mais avec leur pieds, attirés par les lumières des villes proches et au-delà, celles des pays riches. Les mouvements migratoires que nous connaissons ne sont qu’une anecdote par comparaison avec ceux qui se produiront si des centaines de millions de ruraux pauvres quittent massivement les campagnes.
Encourager des pratiques agricoles productives et durables
Pour contribuer à une transition la moins chaotique possible dans un monde de plus en plus incertain, les institutions internationales et beaucoup de gouvernements reconnaissent aujourd’hui qu’investir dans les agricultures paysannes est une priorité économique, écologique et sociale. Il s’agit de soutenir des modèles agricoles permettant d’intensifier la production et d’accroître les revenus des producteurs tout en maintenant un nombre élevé d’emplois dans l’agriculture et les activités de première transformation en milieu rural. Ces modèles d’agriculture productive, écologiquement durables, existent et ont montré leur efficacité. Des techniques à bas coût, accessibles aux petits producteurs ont été expérimentées avec succès à grande échelle. Les connaissances ont fait de gros progrès ces dernières années qu’il s’agisse d’agroforesterie, de fertilisation à partir de biomasse, de sélection végétale ou d’élevage. Les nouvelles technologies de l’information, les services financiers adaptés aux petites exploitations et l’essor des marchés régionaux créent de nouvelles opportunités pour les agricultures familiales.
Investir avec des modèles financiers innovants
Pourtant dans les faits, les investissements dans l’agriculture paysanne sont encore limités en dépit des déclarations officielles. Les modèles habituellement considérés comme modernes et performants sont ceux de la grande exploitation à forte intensité capitalistique et d’intrants, et à faible intensité de main d’œuvre. Ces grandes exploitations offrent un cadre juridique et des perspectives de rentabilité propres à rassurer les investisseurs financiers mais le bilan global n’est pas aussi favorable si l’on prend en compte les impacts extra-financiers. Par comparaison, investir dans des milliers de petites exploitations apparaît comme un pari complexe et incertain. C’est pourquoi, il est essentiel de développer des véhicules d’investissement adaptés aux particularités de l’agriculture familiale et capables de porter des projets à grande échelle. A la différence de fonds financiers « classiques », ces fonds peuvent valoriser financièrement les « externalités » directes ou indirectes générées par ces projets : volumes et qualité de la production agricole, gestion des ressources en eau, biodiversité, carbone stocké, impact social, etc. Plus encore que l’investissement lui-même, la méthode a son importance : aucun acteur qu’il s’agisse d’une entreprise, d’une ONG, d’une coopérative agricole ou d’une institution publique ne détient à lui seul la solution mais chacun peut contribuer à une partie de cette solution. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, des coalitions d’acteurs travaillant ensemble sur des objectifs bien définis ont plus de chance de réussir. A condition de ne pas oublier un principe simple mais essentiel : les agriculteurs sont et seront les principaux acteurs de cette transformation.
Les entreprises qui transforment les matières premières issues de cette agriculture, qui assurent l’approvisionnement en eau des villes et des industries, qui développent des services aux agriculteurs ont tout intérêt à investir à long terme pour sécuriser leurs approvisionnements futurs et contribuer à l’innovation en apportant leur expertise. Les gouvernements, les institutions d’aide au développement feront un meilleur usage des fonds publics en s’engageant dans une logique d’investissement et de paiement sur résultat pour des services sociaux ou environnementaux générés par ces projets et mesurés rigoureusement. Les citoyens -c’est-à-dire chacun de nous- qui sont aussi des consommateurs, des épargnants et des électeurs, peuvent aussi jouer un rôle essentiel par la pression qu’ils exercent auprès des décideurs.