Considérée comme la deuxième épice la plus chère au monde après le safran, la vanille est l’une des saveurs préférées des consommateurs. Mais c’est aussi une industrie très complexe et fragile. À Madagascar, premier producteur mondial de vanille, la pauvreté rurale atteint jusqu’à 81% [1]. Au cours des dernières décennies, le secteur a été confronté à une forte spéculation, un manque de transparence et une forte exposition aux événements climatiques qui ont maintenu les petits exploitants de vanille dans la pauvreté. Dès 2017, Livelihoods a lancé un projet ambitieux dans le nord-est de Madagascar pour construire une chaîne d’approvisionnement résiliente avec 3 000 exploitations familiales, sur 10 ans.
Mais cinq ans plus tard, cette nouvelle chaîne d’approvisionnement a-t-elle amélioré la position des agriculteurs dans le secteur ? Ont-ils réussi à améliorer leurs revenus ? Ont-ils réussi à produire une vanille de haute qualité tout en préservant leur écosystème naturel ? Livelihoods publie les résultats encourageants d’un audit social dans la région. Mené fin 2021 par INSUCO, un cabinet de conseil international indépendant spécialisé dans les sciences sociales, l’audit démontre que la transition vers une vanille résiliente et de qualité bel et bien en cours.
Le projet vanille de Livelihoods en bref:
Un modèle d’investissement innovant
Le Fonds Livelihoods pour l’Agriculture Familiale (L3F) a réuni une coalition d’acteurs privés et publics pour adresser quelques défis économiques profondément ancrés dans le secteur de la vanille. Le fonds assume le risque d’investissement et préfinance les activités du projet pour structurer la chaîne de valeur. Danone, Firmenich et Mars (à travers son fournisseur Prova) se sont engagés à acheter la vanille produite par les agriculteurs à un prix équitable, pendant 10 ans. Les activités sont mises en œuvre sur le terrain par Fanamby, une ONG malgache qui a une grande expérience avec les producteurs de vanille, Missouri Botanical Garden, une ONG engagée dans la préservation de la biodiversité et Maisons Familiales Rurales, une association qui œuvre pour l’éducation.
Les activités économiques du projet sont co-financées par l’Agence française de développement (AFD), un établissement public qui œuvre pour le développement durable et lutte contre la pauvreté à travers le monde. Le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) intervient également pour soutenir la préservation de la biodiversité à Pointe à Larrée. Le FFEM met en œuvre des projets de développement durable sur les enjeux de préservation des biens publics, de solidarité internationale et d’innovation.
Une production durable et de qualité avec 3 000 exploitations familiales
Le projet met en place une nouvelle chaîne de valeur qui fournit aux agriculteurs les compétences, infrastructures et matériel nécessaires pour produire une vanille de haute qualité et améliorer leurs revenus. Sur les cinq premières années, les agriculteurs ont été formés à des pratiques durables pour accroître la productivité et la qualité de la vanille. La création d’une coopérative gérée par les agriculteurs eux-mêmes vise à les connecter directement au marché ainsi qu’à mieux intégrer les femmes et les jeunes dans le secteur. Dans un contexte de forte fluctuation des prix, le projet agit pour contrôler les vols, prévenir les risques de spéculation afin d’assurer des revenus plus stables pour les agriculteurs.
La préservation de 4 500 hectares de forêt tropicale riche en biodiversité, Pointe à Larrée, est une activité clé du projet. Pour y parvenir, les communautés locales sont impliquées pour préserver, appliquer les lois de protection de la biodiversité et planter des espèces d’arbres indigènes afin de protéger la zone des catastrophes naturelles.
Un audit social pour donner la parole aux agriculteurs
Les personnes interrogées sont des petits agriculteurs indépendants situés dans la zone du projet : le district de Soanierana-Ivongo (région d’Analanjirofo) dans la partie nord-est de l’île, en dessous de Sava. La zone du projet s’étend sur plus de 1 000 km2 et quatre municipalités[1]. La région avoisine un écosystème unique et riche en biodiversité : Pointe à Larrée, qui est menacé en raison de la pression des communautés locales qui cherchent de nouvelles sources de revenus.
Réalisé en 2021, à mi-parcours du projet, l’audit visait à recueillir la perception des agriculteurs sur 5 thèmes principaux : la structuration de la filière a-t-elle amélioré leur position dans le secteur ? La nouvelle organisation a-t-elle permis d’améliorer leurs revenus ? Ont-ils amélioré la qualité de la vanille qu’ils produisent ? Le projet a-t-il réussi à mieux impliquer les femmes et les jeunes dans le secteur ? Y a-t-il moins de pression sur la biodiversité locale ?
Cet audit social a été structurée autour de trois axes, mobilisant des questions quantitatives et qualitatives pour capter : le niveau de compréhension des bénéficiaires sur le projet, leur perception des progrès et des résultats, et leur perception des impacts éventuels liés à la pandémie. L’audit s’appuie sur un total de 109 entretiens avec des agriculteurs, dont 21 femmes. Elle a été menée auprès de 91 ménages situés dans les 4 municipalités de la zone du projet pour représenter une diversité de ménages. Facilitée par notre partenaire local, Fanamby, l’étude a permis d’enquêter sur le fonctionnement de 7 organisations d’agriculteurs, analysant leur gouvernance, les volumes produits, et les formations dispensées. Les résultats de l’étude sont également basés sur l’audit des transactions commerciales et de la gouvernance de la coopérative Tambatra.
1. 91% des répondants considèrent que la structuration de la filière s’est sensiblement améliorée
Le premier objectif du projet était de créer une filière à valeur ajoutée pour les agriculteurs. Former les agriculteurs pour produire une vanille de haute qualité et en tirer un meilleur revenu. A ce jour, les signaux sont très positifs : 91% des répondants ont exprimé que la structuration de la vanille s’est considérablement améliorée depuis le lancement du projet, même pendant la pandémie de la COVID-19. 95% d’entre eux ont déclaré que l’industrie de la vanille s’est également améliorée de manière significative. De plus, les taux de vol dans leurs parcelles ont été réduits de 60% à moins de 5% dans la zone, grâce à un soutien solide des autorités légales.
Une grande majorité des agriculteurs (95%) ont exprimé que la coopérative « Tambatra » qui a été structurée par les partenaires du projet, a considérablement amélioré leurs conditions de travail. 82% des répondants ont également qualifié la gouvernance de l’organisation de bonne à très bonne. Tambatra, est une coopérative appartenant à des agriculteurs qui fournit l’infrastructure, un soutien pour la collecte, la livraison et le paiement pour accompagner les agriculteurs à chaque étape de la production. À ce jour, plus de 2 000 exploitations familiales organisées en 20 associations sont impliquées dans cette organisation. L’objectif global est d’embarquer 3 000 familles avant la fin du projet.
2. 96% d’agriculteurs considèrent que les revenus tirés de la vanille se sont sensiblement améliorés
La production de vanille de haute qualité requiert des compétences techniques élevées, de la patience et de la précision. Les agriculteurs embarqués dans le projet ont reçu des formations techniques sur la production de vanille (de la gestion des vignes, de la pollinisation à la collecte). Globalement, 76% des agriculteurs ont qualifié les formations reçues de bonnes. 22% des agriculteurs ont même commencé à produire de la vanille grâce au projet. Lorsqu’on leur a demandé ce qui avait contribué à l’amélioration de leurs revenus, les agriculteurs ont mentionné la distribution de lianes de vanille au début de la campagne, l’augmentation du prix liée à la meilleure qualité de la vanille, les ventes directes rendues possibles par l’organisation des agriculteurs sans intermédiaires. Cela a contribué à faire face à la crise du COVID : 91% d’entre eux ont déclaré que le revenu du ménage est resté stable pendant la pandémie.
3. Les femmes et les jeunes mieux impliqués dans la filière
Un enjeu important du projet était de mieux embarquer les femmes et les jeunes agriculteurs dans la production de vanille. Et cela, en impliquant les jeunes dans toutes les activités liées à la vanille et en les aidant à accéder à des terres pour permettre aux jeunes générations d’acquérir les compétences nécessaires et un réel savoir-faire. 59% des répondants estiment que l’implication des jeunes dans le secteur s’est nettement améliorée. Depuis le lancement, l’accès à l’emploi des jeunes s’est amélioré de manière significative selon 63% des producteurs interrogés. De plus, le projet a permis d’ouvrir une école agricole pour former les jeunes. En décembre 2021, l’école a fêté ses premiers diplômés.
L’ambition était également d’aider les femmes à s’impliquer davantage dans la chaîne et à participer activement aux associations d’agriculteurs. En d’autres termes, les aider à développer leurs compétences entrepreneuriales et leur permettre d’être membres actifs de la transformation. Les femmes ont été soutenues à la fois sur les tâches de production (pollinisation, préparation des gousses…) mais aussi dans la prise de décision au sein des associations d’agriculteurs. Aujourd’hui, 75% des personnes interrogées estiment que l’implication des femmes s’est nettement améliorée. 30% d’entre elles expriment que les conditions d’accès aux terres pour les femmes se sont également fortement améliorées. De plus, 52% des producteurs considèrent que la capacité des femmes à participer aux instances de gouvernance de l’association est bonne.
4. 770 hectares de biodiversité locale préservés
Pointe à Larrée est un écosystème naturel situé dans la zone du projet, déclaré comme une Nouvelle Aire Protégée par le gouvernement malgache en 2015. Cet écosystème est de plus en plus menacé par l’activité humaine. La préservation de 3 000 hectares de biodiversité locale dans la zone du projet est un enjeu majeur. Cinq ans depuis le lancement, après de nombreuses campagnes de sensibilisation menées par nos partenaires locaux et la sécurisation des revenus des agriculteurs grâce à une filière plus solide, les communautés ont réduit la pression sur leurs ressources naturelles. Aujourd’hui, le projet a permis de préserver 770 hectares. D’après 88% des producteurs, les activités humaines qui menacent la biodiversité ont diminué de manière significative.
L’étude a également montré qu’avant le projet, 15% des ménages étaient impliqués dans la combustion du charbon de bois, un chiffre qui a été réduit à 5%. La pratique du tavy (culture sur brûlis) a été réduite de près de la moitié : de 20% à 13% depuis le début du projet.
5. Vers plus de sécurité alimentaire
Si la transition est bel et bien engagée autour de la structuration d’une nouvelle chaîne d’approvisionnement, le revenu des agriculteurs lié à la production de vanille, l’implication des femmes, des jeunes et la préservation de la biodiversité locale, les résultats sont moins nets en ce qui concerne la sécurité alimentaire et la diversification des exploitations.
A ce jour, l’étude montre que l’intervention locale a certes apporté une diversification de production (riziculture, maraîchage), mais celle-ci reste à ce jour relativement faible. Au démarrage du projet, le pourcentage de ménages pratiquant le maraîchage était de 22%, il est aujourd’hui de 24%. 86% des ménages cultivaient du riz avant le projet contre 89% à date. La tendance est plutôt positive mais montre que l’un des défis pour les années à venir est d’aider les agriculteurs à diversifier leurs sources de revenus pour augmenter leur sécurité alimentaire. 45% des producteurs estiment que la période de soudure s’est modérément améliorée depuis 2015.
[1] En décembre 2020, la Banque mondiale a annoncé que Madagascar enregistrait son plus haut niveau de pauvreté depuis 2012 : 77.4%. Dans les zones rurales, ce niveau de pauvreté atteignait 81%.
[2] La zone du projet est divisée en quatre municipalités, à savoir : Manompana, Antanifotsy, Ambodiampana et Fotsialanana.